mardi 2 décembre 2008

conte de Chantal Serrières



Internet est magique!






Hier je postais le début du conte pour vous donner envie de le lire et voici que dans ma boîte électronique arrivait un très gentil mail de l'auteur du conte me permettant de vous le donner à condition de citer l'auteur et le Musée de la Musique de Ouagadougou

merci encore à l'auteur Chantal Serrière

Et bonne lecture !

pour le musée de la musique à Ouagadougou,






La flûte-à-parler






En Afrique, certaines flûtes
savent parler. Oui, je dis bien. Parler. Parler ? Je vous vois douter. Vous
ne
me croyez pas. Mais pourtant, je vous l’assure, les flûtes parlent. Tout
à fait.
Comme vous et moi. Certes, d’autres restent discrètes et se
contentent d’émettre
de simples notes. Mais la flûte que possédait Lasso
était de celles qui parlent,
justement.

Souvent, à l’angle de la
rue Sangoulé Laminzana et de l’avenue de l’Oubitenga, juste à côté de la
buvette
qui s’est installée contre le mur rouge du musée de la musique à
Ouagadougou,
Lasso s’asseyait sur un banc et jouait de la flûte. Comme la
circulation est
intense à certaines heures sur l’avenue, il se trouvait peu
de monde à savoir
que l’instrument racontait des histoires et que sa musique
était très belle. Le
vrombissement des mobylettes, les grincements des
freins au feu rouge et la
trépidation des voitures composaient une musique
bien plus sonore que celle
jouée sur sa flûte, par le jeune musicien.
C’était pour tout dire, une musique
de rue mal éduquée, agressive,
assourdissante, grinçante et surtout horriblement
discordante.
Lasso
avait la chance inouïe de ne pas entendre ce qu’il
voulait ne pas entendre.
Ainsi, bien qu’il ne fût pas sourd (ce qui eût été bien
triste pour un
musicien), la cacophonie de la circulation n’atteignait même pas
la pointe
de ses oreilles. Il s’asseyait donc sur le banc au coin de la rue et
jouait
tranquillement, sans être dérangé.
A bien la regarder, la flûte de
Lasso
n’était en fait qu’un mince tube de bois de ronier qu’on avait percé de
trois trous seulement. Et cela suffisait à l’artiste pour inventer toutes
les
notes des musiques de son monde. A l’endroit où il posait les lèvres
pour donner
vie au morceau de bois, il y avait un peu de cire durcie afin de
délimiter la
bouche de la flûte, là où lui-même mêlait son souffle à celui
de l’instrument.
C’est donc ainsi qu’il se mettait à jouer. A peine les
premières notes
envolées, il partait alors loin, très loin de la grande
ville. Il se retrouvait
au village, au moment de l’hivernage, lorsque
dévalent les eaux abondantes des
collines toutes vertes. Il était redevenu
le gamin d’autrefois, sautant de
flaques en flaques, comme il y en a après
les grosses pluies qui ravinent les
cours des cases.
Car il aimait à
jouer des notes rafraîchissantes, surtout
quand aux grands carrefours de
Ouagadougou, la chaleur rend le bitume brûlant et
lorsque l’air est
électrique, juste avant que n’arrivent les premières pluies
tant attendues.
Et si par hasard, justement, elles oubliaient de revenir ?
Un jour qu’il
était à jouer, là, rêvant à la fraîcheur du village, assis sur
son banc, au
milieu de l’orchestre infernal de la circulation urbaine, le feu du
carrefour qui venait de passer au rouge, se bloqua. D’ordinaire, le temps
arrêté
était si court, que le bruit ambiant ne faiblissait pas. Mais cette
fois-ci,
l’interruption prolongée amena les conducteurs à couper un instant
leurs
moteurs.
La petite flûte de Lasso resta seule à se faire entendre.
Et
soudainement la température se fit plus fraîche. Certains voyageurs
pourtant
pressés quittèrent leurs véhicules pour s’approcher. Il y eut
bientôt un cercle
autour de Lasso qui continuait à jouer la musique des
jours où il fait moins
chaud, où les champs de mil verdissent, où l’air est
moins lourd. Et puis,
tout-à-coup, la flûte se mit à parler.
Au feu
rouge, tout était bloqué. Les
propriétaires des mobylettes et des
automobiles se rassemblaient toujours autour
du musicien. Même le
conservateur du musée, intrigué par le silence habité par
la seule flûte,
était descendu de son bureau pour se rendre compte de ce qui se
passait.
Suivirent les animateurs et toute la classe de jeunes enfants auxquels
ils
venaient d’expliquer les trésors de leur établissement, et aussi la serveuse
de la buvette, et les petits tabliers, et les marchands ambulants, et bien
sûr
les autres musiciens, Dami, Yaya, Bouba et les autres, qui étaient en
train de
répéter dans la salle de concert.
Lasso n’en était pas troublé.
La flûte
profitait de l’audience inhabituelle pour parler à son aise. Il la
laissait
raconter. Elle était libre. Il lui donnait son souffle. Elle le
mêlait au sien.
Elle était sereine et savante. Elle racontait à chacun sa
propre histoire : aux
uns, les contes mossis, aux autres, les récits peuls
ou gourmantchés ou encore…
Sachant que la population du Burkina Faso
dénombre au moins soixante ethnies à
l’identité marquée, avec souvent une
langue propre à chacune d’elle, le discours
de la flûte qui passait de l’une
à l’autre (car c’était aussi l’un de ses
talents de savoir parler toutes les
langues), attirait toujours plus de badauds.
Bientôt les habitants des
autres quartiers arrivèrent près du musée de la
musique pour écouter la
flûte enchantée de Lasso. Ceux de Paspanga et de Dapaya
et ceux de Zongona,
et aussi ceux de Dassasgo, et de Tanghin, sans compter ceux
de Dag-Noën et
tous les autres bien sûr, qu’il est impossible de citer là. Plus
aucun
véhicule ne circulait en ville. Le feu du carrefour avait été depuis
longtemps réparé et passait régulièrement au vert sans que quiconque s’en
préoccupât. Alors la flûte invita les autres instruments à jouer avec elle.
Le
balafon, le djembé, le luth à tête de bœuf, le sifflet si malin qui lui
aussi
sait parler, la kora ventrue, l’arc à bouche, la corne venue du fond
des âges,
la vielle monocorde du mendiant qui avait autrefois bercé le
sommeil des rois,
les grelots, tous les instruments, sortis du musée
eux-aussi, s’en donnèrent à
cœur joie…
Et quand la première goutte de
pluie de la première pluie de
l’année tomba, le concert, alors, s’arrêta.
Lasso rangea tranquillement sa flûte
dans son étui rouge. Les instruments
retournèrent un à un au musée, les badauds
reprirent, qui leurs mobylettes,
qui leurs véhicules pour rentrer chez eux. Le
feu rouge cligna soudain de
son œil vert. Et la vie reprit comme avant son
orchestration grinçante et
horriblement discordante.
Mais c’est faux. La vie
était autrement. La
vie d’avant la musique de la flûte avait tout de même un peu
changé. Car la
musique, toujours, modifie le cours du monde. La musique,
toujours, fait
battre les cœurs autrement. Rendons-en grâce aux musiciens qui
savent si
bien apprivoiser l’âme de leurs instruments. Car ce sont eux les
magiciens,
qui, comme Lasso avec sa flûte-à-parler, permettent enfin l’arrivée
de la
pluie, la pluie, la pluie bienfaisante sur les champs craquelés du Sahel.

Chantal Serrière

1 commentaire:

Anonyme a dit…

C'est un beau poème